retour à la page Catalogue Médiatine mars 1994Sculptures : pages de sensibilités graphiques

Denise Thiel.

La lecture d'une oeuvre qu'elle soit peinture, dessin ou sculpture relève par le terme même employé, de l'écriture. Mais ce terme utilisé dans son automatisme est cependant porteur de sens, car la lettre a d'abord été image et les pictogrammes renfermaient déjà le peindre et l'écrit. Mots - images, signes -symboles, signes - choses. Ainsi, de tout temps, l'artiste a été fasciné par le pouvoir du graphisme et de la symbolique. Si la chose paraît aller de soi chez un peintre, elle désarçonne chez un sculpteur. Et plus encore quand, par volonté du choix des matériaux, on se retrouve curieusement devant un volume qui s'inscrit, devant nous, comme une page blanche. D'où vient cet attrait pour le blanc, couleur neutre de fossilisation ?

Car même lorsque actuellement l'artiste utilise le bronze, celui-ci est patiné et oxydé pour en faire une masse claire. De plus, l'utilisation du trait, qu'il soit noir ou coloré, teinté dans la masse du plâtre, du béton, ou repris à la surface de il oeuvre, fait partie intégrante de celle-ci. Soulignant les ombres, les lumières, mais en accentuant la forme, il confère par son obliquité, un dynamisme qui la fait vivre. Cette oblique subtile se retrouve aussi dans la composition des volumes. La juxtaposition des petites sculptures donne soudain la vision de virgules en marche ; les traits obliques et vifs permettent à l'ensemble des sculptures de plâtre de ne pas se présenter sous un aspect fluide et lisse, connoté depuis la plus haute antiquité. Le sujet réel des sculptures ne serait-il pas avant tout le dessin lui-même au-delà de toute représentation du réel ? Le coup de crayon, le trait mis en forme, le trait capté dans le plâtre, coulé dans le bronze, emprisonné dans le moule ou dans la cire ne permet-il pas à l'ensemble matière, couleurs, gestes, d'atteindre la mise en place de la forme, la luminosité finale ? Et y a-t-il risque pour le relief d'être associé et confronté au dessin, à l'écriture et à la légère peinture ? D'autres s'y sont déjà confrontés ...


Portrait de Guy 1988-1992,
Bas-relief, Bronze et plâtre polychrome.
210x72x7cm.

Mais le graphisme, ici, n'est pas simplement décoration de la forme extérieure. La sensation d'espace est justement accentuée par les rapports linéaires. Les rapports visuels créent un champ dynamique et immensément varié de représentations spatiales, champ encore élargi par l'emploi des couleurs venant renforcer les sensations, les ombres. La force de ces sculptures vient précisément de la tension existant entre la forme sereine, au mouvement retenu, esquissé, et un graphisme foisonnant. Celui-ci exprime la tension des forces internes. La fleur de plâtre utilisée comme matériau privilégié, reçoit toutes manières de traces, d'inscriptions. Qu'elles s'appellent lavis, aquarelles, dessins, écritures, imprimeries, impressions, les images, même les plus banales, s'inscrivent dans un long travail de recherche sur la définition de l'écrit. Cette démarche sous-tend l'œuvre avec toutes ses possibilités différentes. Étrange originalité que d'être passée maître et d'entretenir l'ambiguïté constante entre le croquis rapide, hachuré, saisi dans l'instant et les formes solides se simplifiant de plus en plus vers une géométrisation. Les Il postures Il comme Thérèse les appelle, sont sérieuses, méditatives mais dégagent le frissonnement de la vie par le ténu déhanchement, les ondulations à peine perceptibles des vêtements, le décalage du geste amorcé. Le plâtre est conçu comme une immense feuille de papier qui retrouve, au-delà de l'œuvre très sculpturale, la magie de l'inscrit et apporte à celle-ci une peau qui lui donne deux fois la vie.

C'est un plus, indissociable de la forme.