Ateliers d'Artistes :
De l'atelier coquille à l'atelier verrière


Photo Christian Carez.

Une sorte de serre et une sorte de garage.

La lumière et l'autre lumière. Le verre transparent et la brique épaisse. La clarté grise « naturelle » ou les lampes éblouissantes.Est-ce parmi le jeu des éclairages différents que Thérèse Chotteau choisit journellement son lieu de travail ?

La véranda servirait plutôt d'espace de présentation tandis que la remise s'accommode parfaitement de la pratique d'un sculpteur. La discipline du sculpteur n'est cependant pas si facilement catégorisable.

Dans le cas présent, il y a une incontestable adéquation entre le travail de dégrossissage, de pétrissage de la matière inerte et un espace plutôt calfeutré.

Au stade de l'écoute silencieuse, du dialogue entre soi et l'œuvre en ébauche, une intimité entretenue par une semi clôture spatiale et une lumière ponctuelle ne peut qu'être favorable.

Puis le projet venu à l'état de sculpture sans être coulé définitivement pour autant, le stade suivant impose une série d'examens plus extériorisés à propos des attitudes ou des finitions de l'œuvre, lesquelles lui donneront son sens définitif.

Pour cela il faut une étude attentive du potentiel formel contenu dans l'état auquel est arrivé la sculpture. Une ambiance plus ouverte générée d'abord par son environnement direct s'avère probablement nécessaire pour le créateur.

Ainsi, la liaison entre les deux espaces serait faite du parcours non seulement physique mais aussi du processus mental entre des stades successifs de l'évolution de l'œuvre.

Ceci constaté, je retourne dans l'atelier coquille. Une œuvre avait particulièrement attiré mon attention. Une silhouette encore à moitié dans sa gangue, tête tournée vers la gauche et membres étirés gît dans son moule. Toute figure qui sort de la main de l'homme, dans sa nudité première et avec sa simplicité originelle, offre quelque chose de particulièrement émouvant, surtout dans cette position. Pas encore éveillé ou déjà décédé ?

Le sculpteur ne serait-il pas le plus démiurge des artistes ? A lui d'insuffler la vie ou de donner la mort. Chose étrange, même le cinéma ou la vidéo ne parviennent pas à arrêter le temps de manière aussi proche du corps que cette discipline qui travaille le volume dans la matière. L'image fluide est passante, l'image peinte est illusoire, tandis que le marbre, la pierre, le plâtre, le bronze projettent immédiatement la perception du temps qui dure et du temps qui casse. Un regard contemplatif sur une des plus belles sculptures de Michel-Ange, le David, en est un exemple.

Et après la méditation, le savoir de la fin de toutes choses viendra subrepticement.

Le sujet allongé reposant dans cette matrice attend son futur, il ne nous fait pas moins songer à quelque personnage étrusque étendu sur une tombe où il semble méditer.

Tout cela se passe sur une table où une autre partie de moule, ainsi que des bras et des morceaux de torse font apparaître les brouillons du sculpteur. Plâtre et divers objets du métier témoignent de la pratique adoptée. Les récipients abondent, apportant au passage la preuve des tentatives indispensables à toute expérience artistique. Au fond de l'atelier, sur un mur paradent les outils. La charpente très présente donne une tonalité chaleureuse au lieu.

Au milieu de la pièce, une grande maquette rappelle une œuvre conçue et réalisée pour un site spécifique à Bruxelles. Plusieurs chevalets et trépieds encombrent l'espace, certains attendant d'assumer leur rôle, d'autres habités par des membres à l'étude ou des personnages. Parmi ceux-ci, une silhouette inclinée légèrement indique les préoccupations présentes de Thérèse Chotteau. Qui nous ramène vers l'atelier verrière. Des blocs gris et noirs ponctuent le volume adossé à la maison. On les oublie immédiatement pour ne regarder que les personnages créés par l'artiste, qui y sont mis en situation. Une nouvelle vie les anime. Des ombres les surplombent. Un examen plus concentré m'explique instantanément le changement. L'articulation.

L'articulation qui chez cette artiste prend une valeur inaccoutumée. Une sculpture est censée montrer les positions et « postures » imposées par son créateur, à tel point que cette dernière dénomination est devenue un substantif populaire de remplacement pour désigner une sculpture. Ceci à l'aide des jointures des membres, par la souplesse éventuelle du corps, le tout constituant un seul ensemble conforme à notre propre corps. Brusquement les personnages, ici dans la clarté laiteuse d'une journée hivernale, s'inclinent, se tournent, d'une manière étrange, accentuée.

Un conduit cotonneux enserré entre deux parties du corps permet cette hardiesse. Très intéressante cette trouvaille, non seulement parce qu'elle communique au niveau formel, mais aussi parce qu'elle apporte un surplus de sens incontestable à l'œuvre elle-même, ne fût-ce que dans la psychologie de sa découverte par le spectateur. Taille, ventre, nuque, prennent des positions diverses introduisant dans l'univers de Chotteau une sensibilité au monde. Dans la raideur voulue de ses sculptures, on pouvait lire la réserve, la tenue, l'expression pratique et philosophique du fil à plomb dans la vie de l'homme. Sa connaissance de la sculpture la poussait aux derniers retranchements d'une vision en transparence. Voila qu'elle ose à présent ouvrir de nouvelles perspectives.

Un axe et tout tient. Deux ou trois axes et le monde entre dans l'œuvre. Quelque chose d'émouvant passe car le doute désormais s'inscrit dans les situations saisies par le sculpteur. Ses personnages, hommes, femmes, franchissent le pas vers une individualité dont l'ego n'est pas plus accentué, mais ou dans une courbe ou une inclinaison s'échappe le questionnement humain.

Transparence de l'être, transparence de la situation. Transparence de l'atelier.

(Texte de Gita Brys-Schatan, photographie de Christian Carez, p.14-15 de Ateliers d'artistes. © Editions Racine, 2006.)